LUTTE DE MARIAMA SONKO POUR L’AGROÉCOLOGIE ET LES DROITS DES PAYSANNES «Ils ont essayé de me faire taire, mais ils n’ont pas réussi»
Cette Sénégalaise préside une organisation régionale qui regroupe 175 000 agricultrices de huit pays. Son rêve est que la terre revienne à ceux qui la travaillent.
En Afrique, l’agroécologie n’est rien d’autre qu’une forme de souveraineté alimentaire traditionnellement prise en charge par les femmes.
Mariama Sonko s’est mariée à l’âge de 17 ans. Sous la pression de sa famille, elle est allée vivre à Niaguis, le village de son mari. Un petit village agricole de la région de Casamance, dans le sud du Sénégal. Là, elle a commencé à travailler sur les légumes et s’est impliquée dans une association de femmes agricultrices. Elle constate avec colère que la tradition empêche les femmes de posséder des terres et qu’elles ne peuvent aspirer qu’à les louer dans des conditions abusives. Les lois pouvaient désormais dire ce qu’elles voulaient : le poids de la coutume transformait leur supposé zèle égalitaire, elle et ses camarade, en lettre morte. C’était il y a une vingtaine d’années. Cet épisode d’injustice a particulièrement irrité la jeune Sonko. Avec un groupe d’agricultrices, elle avait loué quelques hectares de terre à un marabout, un chef religieux islamique. Après des années de dur labeur – défrichage, désherbage, labourage et semis du lever au coucher du soleil – le marabout leur a annoncé qu’il souhaitait résilier le bail. Ce n’est pas une coïncidence si l’homme a pris sa décision au moment où la terre commençait à produire de bonnes récoltes. «J’étais indigné. Je lui ai dit qu’il ne pouvait pas nous jeter dehors au moment où nos efforts commençaient à porter leurs fruits», raconte Sonko dans un parc de Turin (Italie), où elle s’est rendu fin septembre 2024 pour participer à Terra Madre, la foire organisée par le mouvement Slow Food. Sonko a payé cher sa défiance à l’égard du chef religieux. «Un scandale a éclaté. Les notables du village m’ont accusé de dresser les hommes et les femmes les uns contre les autres. J’ai répondu que ce qui nous avait été fait était mal d’un point de vue moral. Mais cela n’a pas servi à grand-chose», assène-t-elle. Elle est devenue une paria à Niaguis. On lui interdit de continuer à participer au mouvement associatif et on lui retire un poste qu’elle occupait au sein du conseil municipal. «Ils ont essayé de me faire taire, mais ils n’ont pas réussi», dit-elle fièrement, avec sa pose ferme, ses gestes laconiques et sa voix retentissante. Sonko, aujourd’hui âgée de 52 ans, affirme que chaque fois qu’ils ont essayé de l’humilier, elle s’est toujours levée au lieu de se laisser intimider. Cela s’est produit lorsqu’elle était enfant et qu’elle rendait visite à la famille de sa mère à Dakar. Certains enfants l’ont harcelée parce qu’elle était une Jola, le groupe ethnique majoritaire en Casamance, d’autres l’ont traitée de «chienne affamée». «Dans la capitale, certains nous considèrent comme des sauvages. J’ai toujours été forte physiquement. Je leur tenais tête et, s’il le fallait, je les frappais pour leur faire comprendre que c’était la dernière fois qu’ils me disaient ça», explique-t-elle. En Afrique, l’agroécologie n’est rien d’autre qu’une forme de souveraineté alimentaire traditionnellement prise en charge par les femmes.
Au moment de l’incident avec le marabout, Sonko s’était déjà fait un nom dans la région, notamment en tant que responsable de la fédération des organisations féminines de Ziguinchor, l’une des trois provinces de la Casamance. « C’est à partir de là que j’ai poursuivi mon combat, en sensibilisant et en formant des collègues femmes. À la radio et dans les forums. Dans les conversations privées et dans les cercles de paysannes. Chaque fois qu’elle en a eu l’occasion, Sonko a fait passer son message : la terre, pour ceux qui la travaillent.
La solution
Des années plus tard, il commence à observer avec inquiétude comment l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), créée en 2006, cherche à imposer un modèle agro-industriel sur le continent. Sonko rejette l’idée d’une campagne africaine plantée de semences génétiquement modifiées et truffée d’engrais chimiques et de pesticides. Peu à peu, sa cause personnelle s’est cristallisée, dans laquelle convergent la lutte pour les droits des femmes et la défense d’un système alimentaire respectueux de l’environnement. Sonko considère cette symbiose éco-féministe comme naturelle : «En Afrique, l’agroécologie n’est rien d’autre qu’une forme de souveraineté alimentaire traditionnellement prise en charge par les femmes». En 2011, avec 12 organisations de cinq pays (Sénégal, Burkina Faso, Guinée- Conakry, Mali et Ghana), elle a créé le mouvement qu’elle préside aujourd’hui : Nous Sommes la Solution (NSS). Elle affirme que seules les femmes peuvent être le fer de lance du remède au problème de l’agriculture hyper-technicisée et intensive, qu’elle décrit comme une catastrophe absolue. «Elle menace de détruire tout ce que nos ancêtres nous ont laissé, en particulier les sols fertiles et les semences indigènes», souligne-t-elle. Le mouvement NSS regroupe actuellement plus de 800 organisations représentant quelque 175 000 agricultrices dans huit pays (les cinq premiers ont été rejoints par la Côte d’Ivoire, la Gambie et la Guinée-Bissau). Malgré la diversité logique d’un mouvement aussi vaste, un objectif est central : que les agricultrices soient propriétaires des terres qu’elles cultivent et produisent selon les principes de l’agroécologie. Sans produits chimiques ni déforestation. En utilisant les connaissances ancestrales et en y ajoutant des connaissances scientifiques et des innovations adaptées au contexte. Si des progrès sont réalisés dans ce sens, le mouvemnt NSS vise à faire émerger une nouvelle mentalité chez les hommes qui «reconnaissent le rôle des femmes en tant que pionnières dans le développement du territoire», poursuit Sonko. Malgré les progrès accomplis, elle explique que dans les champs d’Afrique de l’Ouest, le «mépris» à l’égard des femmes prévaut encore. Une forte inertie persiste, sous-tendue, à quelques exceptions près, par une volonté de ne pas remettre en cause le statu quo : «La plupart des hommes pensent, sans autre forme de procès, que c’est ainsi qu’il faut faire les choses parce que c’est ainsi qu’elles ont toujours été faites».
Respect de l'environnement et de la liberté
NSS rejette la bataille juridique et utilise des armes de persuasion renforcées par la logique pure. «Nous insistons sur les avantages qu’il y a à ce que les femmes puissent acheter ou hériter de terres. Par exemple, parce que cela augmente la richesse de la famille. Nous utilisons ce genre d’arguments pour amener les hommes à s’ouvrir». Selon elle, la stratégie fonctionne : «Grâce à notre travail, de nombreuses femmes d’Afrique de l’Ouest cultivent désormais leurs propres terres. Nous insistons sur les avantages qu’il y a à ce que les femmes puissent acheter ou hériter de terres. Par exemple, parce que cela augmente la richesse de la famille. Nous utilisons ce type d’arguments pour amener les hommes à s’ouvrir».
Dans le débat strictement agricole, NSS fait valoir la force des faits. «Le secteur agro-industriel nous accuse d’être ignorants, d’apporter la pauvreté… Comme toujours. Nous ne sommes pas intéressés par une conversation théorique ou abstraite. Nous invitons simplement les gens à visiter nos fermes pour qu’ils puissent juger par eux- mêmes». Selon Sonko, dans les plantations promues par le mouvement, tout est harmonisé dans le cadre d’un «système durable, avec des biofertilisants et des bioprotecteurs, qui produit de bons rendements». L’objectif final est d’atteindre la souveraineté alimentaire, mais personne ne coupe les ailes des femmes qui veulent voler plus haut. Rien ne les empêche d’accroître leur production pour la vendre sur les marchés locaux ou internationaux. Une seule règle : «Utiliser des techniques qui ne vont pas à l’encontre de la préservation de l’environnement ». Dès lors, «on peut cultiver autant que l’on veut».
Sonko vit toujours à Niaguis, où elle cultive «un peu de tout» sur sa ferme de trois hectares, forme aux pratiques agro-écologiques et encourage les débats ouverts sur le «rôle des femmes dans les exploitations familiales et la politique locale». Il s’est passé beaucoup de choses depuis que les notables du village ont tout fait pour faire taire la jeune femme à la voix puissante qui parlait trop.
Laisser un commentaire